Né le 25 août 1926 à Sotta Pierre a grandi dans une fratrie de six enfants. Dès son plus jeune âge, il baigne dans le monde d’u pani. Il travaille aux côtés de sa mère et de sa grand-mère, boulangères au-dessus de l’ancienne poste du village.
Mais, il découvre aussi, avec son grand-père, tout le travail en amont, avant que le blé ne devienne farine. Pierre l’accompagne à Bunfunaghjola, à Funtana di Locu, pour préparer sa parcelle. Cette pratique ancestrale, a dibbiera, consiste à nettoyer le terrain avant d’y mettre le feu à contre-vent. il n’y a pas de pompiers à l’époque, son grand-père est aidé les hommes du village et, avec a frasca, un fouet de branches feuillus, ils contrôlent le feu sur la parcelle exploitée.
Une fois le terrain propre, on fait appel aux buiattera, les bouviers, qui passent la charrue tirée par des bœufs. Le blé peut alors être semé… Une fois poussé, le blé est coupé avec u falcinu, la faucille à dents que Lucien possède toujours dans sa réserve. Ils forment alors d’i manedda, des gerbes de blé qu’ils disposent dans l’arghja, l’aire de battage.
Les femmes viennent prêter main forte pour le transport des gerbes. Et cela malgré leur quotidien déjà très contraignant : la traite des vaches ou des chèvres pour faire le fromage, préparer les repas ou encore aller le linge à la rivière, etc. !
Une fois battu, le blé est tenu en l’air pour que le vent emporte les résidus. Mais encore faut-il le bon vent ! Pierre se souvient : il a 14 ans et prend le frais sur la place de l’église, à l’ombre de l’orme. Il voit arriver Zi Petru Pà avec sa charrette et sa jument et crie « Oh ziteddi, il fait un peu de vent, montez ! montez ! ». En surveillance de l’arghja au cimetière du lieudit Fumicosa, le vent s’était levé, mais juste ce qu’il faut pour nettoyer le blé. Pierre voit alors partir tous les vieux Ziu Battistu Munduloni, Ziu Antonu Gavini, etc. avec Petru Pà pour lever le blé à l’air.
Le blé récolté prend ensuite la direction du moulin pour le faire moudre et récupérer la farine. Et dieu sait que les moulins de l’Urgonu sont nombreux. Il y a entre autres, le moulin de Ziu Lisandru à Lastretu sur le chemin du stade dont s’occupait la mère de Charlot, à Figari. Il y a aussi u Mulinu novu des Milleliri, ou celui du cousin à Monti d’Acughja…
Lucien aime à observer tout le mécanisme de ces moulins. D’abord, il y a a riccia, un canal en pierre qui porte l’eau de la rivière. Le moulin prend l’eau au-dessus et remplis le canal. L’eau passe ensuite une sorte de réservoir avant d’arriver à la buse. Une fois plein, on ouvre pour libérer le passage de l’eau et là, l’eau tombe sur les cuillères qui font tourner la meule en pierre, écrasant le blé et donnant de la farine…
Si le moulin tourne entre fin juin et début juillet, juste après la récolte du blé. Il se remet à tourner en octobre, cette fois après la récolte du maïs…
A l’époque, le pain durait longtemps, et même une fois dur, on faisait du ruzziccheddu, du pain biscuit avec… Le meilleur pour Pierre, c’est quand cela accompagnait une bonne soupe avec un morceau de fromage !
Pierre transmet avec une rare précision les gestes, les voix et les savoirs d’un monde aujourd’hui disparu. Il incarne un véritable porteur de mémoire, témoin vivant des traditions agricoles et du quotidien rural de son village. Son seul regret, c’est de ne plus avoir sa grand-mère, sa mère et ses sœurs pour nous montrer ce qu’était un pain à l’époque !