La malaria flotte dans l’air insalubre de Portivechju, terre de marécages, depuis les temps les plus reculés. Sans doute pour éviter de prendre des risques, Mme Barbier, alors enceinte, préfère se rapprocher de son médecin, le Dr Delsaux, en villégiature à la montagne. Comme un clin d’œil à l’évènement, Augusta qui deviendra « Ghita » voit le jour le 17 septembre 1931 à l’hôtel Terminus de Quenza. Malgré une maman très sévère, qui va jusqu’à lui interdire de flâner dans les rues ou même de s’attarder devant la fenêtre de la maison, Ghita a le privilège de profiter, comme tous les enfants de sa génération, du bonheur des choses simples : Humer, sur le chemin de son école Joseph Pietri, l’odeur des pisticcini, sortes de petites crêpes à la farine de châtaigne cuites entre deux plaques qui étaient servies enroulées dans du papier journal, ou les ciacci au brocciu, cuites à la cheminée et joliment présentées sous cloches en verre par les sœurs Ceccarelli et garder un sou pour les sucreries de la casa de Lila et Jeanne. L’été venu, on remonte à la maison de village d’U Spidali. Le quotidien suit, nourrir les bêtes, arroser le jardin et laver le linge avec l’eau d’u rutaghju.
Mais les moments précieux sont là aussi, ceux avec les amis : on encourage les garçons qui dévalent à fond la route sinueuse de la montagne à bord de leurs carruleddi, caisses à savon faîtes de planches de bois et de roues usées. Il y a aussi les balades dans la forêt où on s’amuse à reconstruite les caseddi des aïeux. Et puis, il y a le bal d’Agnaronu que l’on attend avec impatience, où les demoiselles admirent discrètement les talents de danseur du jeune Jacques Ettori.
A l’âge de 21 ans, Ghita prend le chemin du Maroc, alors sous protectorat français, comme nombre de Corses désœuvrés qui migrent en quête d’une vie meilleure. Elle est envoyée par ses parents auprès de sa sœur ainée, maman de 4 enfants et dont le mari officier est parti combattre en Indochine. Mais Ghita s’ennuie et, éprise de liberté, prend un poste d’institutrice. Avec son salaire, elle s’offre une vespa et, à ses heures perdues, part en vadrouille avec une copine de Murateddu retrouvée sur place.
Au Maroc, elle rencontrera celui qui deviendra son époux : le Dr Michel C. D’abord en visite dans son école, ils se retrouvent les jours suivants lors d’un bal d’officiers. Moins de trois semaines plus tard, les deux jeunes gens se marient…
Les terres marocaines et tunisiennes recouvrant leur indépendance en 1956, le couple s’installe à Cugand, en Vendée, et voit l’arrivée de leurs deux filles, Véronique et Noëlle. Ghita se consacre alors à leur éducation. Dans les années 1965, c’est le retour en Corse et la famille construit sa maison à Portivechju. Si son besoin de liberté a semblé lui échapper un temps, Ghita ressaisit rapidement les rênes de sa vie. Loin de vouloir vivre aux dépens du médecin du village, elle reprend le commerce de sa mère qu’elle tient dans la vieille ville. Cette boutique, où se retrouvent les dames apprêtées de la cité pour s’offrir leur petite jupe Cacharel, sera avant tout pour Ghita l’opportunité de posséder son indépendance… Ghita a grandi dans une Corse touchée par la misère, où bon nombre d’habitants quittent, à contre-cœur, leur île pour trouver du travail sur le continent et dans l’empire colonial français au travers, majoritairement, de l’administration et du milieu militaire. Il faudra attendre la seconde moitié du vingtième siècle pour voir la Corse se repeupler et trouver un certain dynamisme économique ouvert sur l’extérieur. Cependant, Ghita a évolué dans ce monde en sachant où elle voulait aller et apparaît comme le miroir d’une ère d’après-guerre où l’émancipation des femmes commence à poser son empreinte…